Droit des affaires
September 12, 2020

Apprivoiser le langage du financement d’entreprise

Votre projet d’entreprise est sur la bonne voie : vous avez évalué le marché, vous avez effectué des prévisions financières et vous avez un plan d’affaires solide. Il vous reste encore une étape essentielle : créer une structure de financement. Plusieurs modes de financement s’offrent à une entreprise qui souhaite injecter des fonds pour démarrer ou croître son modèle d’affaires, mais il peut s’avérer complexe de s’y retrouver.

À quoi réfléchir avant de se lancer dans une ronde de financement?

Les entrepreneurs ressentent souvent la pression du marché de se lancer rapidement dans la fameuse « ronde de financement » pour accélérer la croissance de leur projet. Mais qu’est-ce que l’arrivée d’investisseurs ou de prêteurs externes implique pour l’entreprise ? Quelles sont les questions à se poser avant d’opter pour un mode de financement plutôt qu’un autre ? Voici quelques pistes :

  • Quel est le montant des fonds requis par la société ?
  • À quelle vitesse les fonds doivent-ils être disponibles pour la société ?
  • À quelles fins seront utilisés les fonds obtenus ?
  • Comment et à quel moment est-il prévu que les fonds soient retournés aux investisseurs/prêteurs (sous forme de remboursement, pour de la dette, ou rendement, pour l’équité) ?
  • À quel stade de développement se trouve la société ?
  • Quelle est la tolérance au risque des fondateurs ?
  • Quels sont les droits que les fondateurs désirent conserver à tout prix sur l’entreprise et quel niveau de contrôle sont-ils prêts à laisser aller ?
  • Est-ce que l’entreprise est suffisamment préparée pour se soumettre à une vérification diligente par les prêteurs ou investisseurs ?

Notre série d’articles vous permettra notamment d’alimenter vos réflexions sur ces sujets et vous guider dans votre prise de décision.

Quels sont les différents stades de financement d’une entreprise?

Une entreprise rencontre typiquement différents stades de financement au cours de son existence. Voici quelques termes utilisés par le marché pour désigner les étapes de croissance d’une entreprise. Le stade d’évolution de l’entreprise va influencer la structure et les modalités du financement que les investisseurs seront prêts à offrir.

  • « Pre-Seed Funding » : Dans ce stade préliminaire, le but de la ronde de pre-seed est de démontrer que l’idée du fondateur a sa place dans le marché. Les investissements se basent rarement sur des données ou des chiffres à ce stade, il s’agit davantage d’investir dans un fondateur. Il s’agit d’un stade qui fait l’objet de montants moins élevés que les autres rondes et il s’agit principalement de fonds provenant des fondateurs, de leur famille et de leurs amis. On entend alors souvent l’expression « love money» pour faire référence au capital investi par les proches des fondateurs à l’étape du démarrage d’entreprise.
  • « Seed Funding »: Ce stade de financement, tout comme le « Pre-Seed Funding » est risqué et spéculatif. Il sert essentiellement à aider l’entreprise à établir sa direction et ses objectifs, par exemple l’identification du produit, le développement du modèle d’affaires, la définition des marchés et clientèles cibles. À ce stade de financement, qui arrive souvent après plus d’un an d’existence, l’entreprise nécessite du financement pour le recrutement, la structuration de l’équipe et pour confirmer son positionnement sur le marché. C’est généralement à ce stade qu’interviennent ceux qu’on appelle les « anges investisseurs ». Une entreprise n’a pas toujours besoin de lever des capitaux externes au moment du démarrage.
  • Ronde A  (ou « Series A »): Il s’agit de la première ronde de financement externe d’importance pour une société. Ce type d’investissement survient au moment où les produits ou services de l’entreprise sont mieux définis et où la commercialisation a été initiée ou est sur la voie de l’être. La Ronde A va aider l’entreprise à atteindre des objectifs plus ambitieux pour l’aider à se stabiliser, que ce soit pour optimiser la production, améliorer ou développer de nouvelles versions du produit, ou pénétrer davantage ses marchés. À partir de ce stade, les investisseurs en capital de risque visent habituellement un horizon de placement de trois à sept ans, avec des objectifs de rendement. L’investisseur voudra aussi participer aux décisions stratégiques de l’entreprise.
  • Ronde B  (ou « Series B »): À partir de la Ronde B, une entreprise est généralement établie: son produit ou son service est développé, la production est en marche et les ventes sont stables. Le principal objectif de l’investissement en Ronde B est donc habituellement la croissance. On vise la globalisation de l’entreprise, l’agrandissement de l’équipe de travail à l’échelle globale, ou même une ou des acquisitions stratégiques.

Par la suite, il n’y a techniquement aucune limite au nombre de rondes de financement qu’une société peut traverser ; la ronde considérée ultime étant l’appel public à l’épargne.

Quels sont les différents types de financement disponibles?

Les divers types de financement peuvent être regroupés sous deux grandes familles, soit le financement par voie de dette (c.-à-d. emprunt devant être remboursé) ou par voie d’équité (c.-à-d. participation dans l’entreprise à titre d’actionnaire). On retrouve également d’autres sources provenant de programmes gouvernementaux ou de bourses privées.

La diversification de ses sources de financement est importante pour une entreprise. Elle permet de mieux faire face aux fluctuations du marché en démarrage, de mieux gérer son fonds de roulement, de mieux répondre aux besoins de l’entreprise, en plus de présenter un bilan plus sain et équilibré, qui attirera éventuellement d’autres investisseurs ou prêteurs.

En effet, plusieurs institutions bancaires et autres prêteurs institutionnels vont exiger le maintien d’un certain équilibre entre le financement total d’une entreprise en dette versus équité, qu’on appelle le ratio dette-équité ou de levier. Cette mesure leur permet de contrôler le risque lié au financement bancaire.

Voici quelques exemples des principaux types de financement existants pour un entrepreneur québécois :

Dette

  • Autofinancement : Économies et cartes de crédit personnelles
  • Love money : Prêt ou dette convertible de la part des membres de la famille et amis
  • Institutions bancaires : Prêts ou marges de crédit
  • Institutions de prêts gouvernementales
  • Prêteurs privés : prêteurs indépendants qui sont souvent prêts à prendre de plus grands risques, en chargeant des frais d’intérêts plus élevés

À noter qu’il est habituellement plus difficile pour une entreprise en démarrage d’obtenir du financement par dette de la part des institutions traditionnelles à cause du manque d’historique et des actifs limités de l’entreprise. De leur côté, les entrepreneurs sont aussi souvent incertains de leur capacité à générer un fonds de roulement suffisant pour couvrir les paiements périodiques d’intérêts liés à la dette et son remboursement. Certains prêteurs, comme la Banque de développement du Canada, sont toutefois reconnus pour soutenir les jeunes entreprises en leur offrant des prêts, généralement accompagnés de cautions personnelles de la part des actionnaires fondateurs.

Équité

  • Accélérateur et incubateur : Programme de soutien accéléré et de financement par achat d’actions
  • Anges investisseurs : Financement par achat d’actions et mentorat
  • Capital de risque : Financement sous forme d’achat d’actions privilégiées ou dette convertible
  • Premier appel public à l’épargne : Émission d’actions au grand public liée à une inscription à la bourse

Autres

  • Programmes gouvernementaux : Sous forme de prêts, subventions, bourses, crédits d’impôt (par exemple, les crédits en recherche et développement), soutenus par le gouvernement provincial, fédéral ou municipal
  • Bourses de démarrage : Par des universités, organismes de soutien ou par concours

Chaque source de financement diffère au niveau du montant disponible, de l’accessibilité et des coûts et risques. Le choix dépendra des besoins, du projet et de la personnalité des fondateurs. De plus, il faut se rappeler que les parcours ne sont pas tous parallèles, plusieurs sources de financement peuvent être obtenues concurremment, et les processus de financement peuvent être faits en série et s’entrecroiser.

Quelles sont les grandes catégories d’instruments de financement en équité?

Lorsqu’on parle d’investissement en équité, plusieurs instruments sont disponibles à un investisseur pour participer dans le capital de l’entreprise. Les firmes de capital de risque, de capital privé et autres fonds d’investissement vont généralement investir dans l’une combinaison des trois grandes catégories d’instruments de financement suivantes :

  • Les actions ordinaires ;
  • Les actions privilégiées ; ou
  • Les débentures convertibles.

Actions ordinaires : un instrument simple, sur un pied d’égalité avec les fondateurs

Les actions ordinaires sont l’instrument de financement le plus simple et l’émission de telles actions ne requiert habituellement aucun changement au capital-actions de la société préalablement à la clôture d’un investissement, et donc simplifient les négociations reliées à la transaction. Dans les entreprises en démarrage, les investisseurs sont souvent moins enclins à souscrire à des actions ordinaires de la société, parce que bien qu’elles offrent la possibilité de profiter de l’augmentation de valeur de la société, elles sont plus risquées. En effet, ce type d’actions ne permet habituellement pas à un investisseur de se protéger contre les risques de perte de son investissement, à moins de réussir par ailleurs à négocier des droits spéciaux supplémentaires dans une convention entre actionnaires.

Actions privilégiées : un instrument qui protège l’investisseur et réduit son risque

Les actions privilégiées sont l’instrument offrant un ratio risque/rendement qui attire plusieurs investisseurs. En effet, bien que se qualifiant d’équité, les actions privilégiées offrent également des modalités permettant de limiter le risque d’un investisseur, en sécurisant un certain retour ou des revenus périodiques sous forme de dividendes. La plupart du temps les termes des actions privilégiées vont prévoir un mécanisme de conversion en actions ordinaires en certaines circonstances (par exemple, lors d’un événement de liquidité), donnant donc aussi la possibilité à ses détenteurs de bénéficier de la plus-value de la société. Pas étonnant qu’il s’agisse de l’instrument préféré des investisseurs!

Débenture convertible : un instrument hybride, entre la dette et l’équité

Une débenture convertible (aussi souvent appelée note convertible) est un instrument de financement hybride qui combine les éléments caractéristiques d’une dette à une composante d’équité via l’exercice du droit de conversion. Comme le laisse entendre son nom, la débenture convertible est également convertible en actions de la société émettrice, ce qui offre à l’investisseur la possibilité de participer à l’augmentation de valeur de la société. La conversion peut avoir lieu automatiquement ou au choix du détenteur à maturité ou lors de la réalisation de certains événements de liquidité, tels un financement en équité, un changement de contrôle de la société, ou un premier appel public à l’épargne. L’avantage de cet instrument pour la société est la facilité et rapidité des négociations et des paiements en intérêts moins élevés qu’une dette classique, en raison du potentiel de gain réalisable à la conversion.

Et maintenant?

Il n’existe pas de chemin prédéfini pour les entrepreneurs lorsque vient le temps de penser à leurs sources de financement. Chaque entreprise doit par elle-même, et au préalable, déterminer la meilleure structure de financement, en fonction de ses objectifs, de son plan d’affaires et sa tolérance au risque. Nos avocats en droit corporatif sont disponibles pour répondre à vos questionnements afin que vous soyez convenablement outillés pour votre projet ou futur projet.